Ce site sur l’histoire de l’éclairage au théâtre tente de décrire les moyens techniques qui ont été utilisés par les hommes et les femmes de théâtre au cours des siècles pour éclairer les spectacles en occident. Je cherche aussi à déduire, là où cela est possible, les compositions globales qui résultent des répartitions proposées des sources de lumières à différentes époques.
Tous les concepteurs d’éclairage contemporains conviendront qu’un projet de lumière pour le théâtre comporte au moins trois grandes divisions :
- l’éclairage de l’acteur et de l’espace qu’il occupe sur scène,
- l’éclairage du décor,
- les effets spéciaux.
Le premier peut aller du plein feu jusqu’à la découpe très réduite de la scène ; le second sert à mettre en valeur les propriétés et l’esthétique du décor ; le troisième va de l’imitation des éclairs aux projections modernes en passant par l’éclairage propre aux machines spectaculaires. L’éclairagiste utilise pour chacune de ces composantes un certain nombre de sources de lumière selon l’harmonie et la composition recherchées. Il peut arriver que ces éclairages se fusionnent, mais la plupart du temps ils cohabitent distinctement sur scène dans un équilibre relatif, entre autres, à la position de l’acteur à différents moments de la pièce, aux changements d’éclairage qui adviennent tout au long de la représentation et à la position du spectateur par rapport à la scène. C’est aussi une évidence pour le danseur dans sa chorégraphie et le chanteur, à l’opéra ou au spectacle rock.
Pour avoir une image globale et un tant soit peu fidèle des conditions de lumière qui prévalent tout au long de l’avènement de la scène à l’italienne, il est essentiel d’analyser séparément ces trois composantes (éclairage de l’acteur et de son espace de jeu, éclairage du décor et effets spéciaux) dans les traités, les mémoires et les textes parvenus jusqu’à nous. Le plus souvent, l’acteur évolue dans un espace scénique où la lumière qui frappe les décors se distingue de celle qui prévaut dans son espace de jeu. L’éclairage du décor ne sert qu’accidentellement à éclairer le jeu de l’acteur. Seule exception : l’éclairage intégré aux machines avec lequel l’acteur devra composer.

La position de l’acteur sur scène est donc un facteur primordial dans l’analyse de la composition de la lumière spectaculaire à travers les époques. C’est sur lui que les regards sont portés quand les effets du Deus ex machina et des changements de décor à vue ne viennent pas lui voler le premier rôle. Si l’acteur du théâtre de plein air prend toute la place, celui de la scène à l’italienne n’occupe que l’espace convenablement éclairé. Cet espace change selon les époques et les pays, tributaire des architectures, des modes et des ressources disponibles. Nous accordons donc autant d’importance à la position de l’acteur qu’à la configuration scénographique à chacune des périodes de l’éclairage aux chandelles, aux lampes à huile, au gaz, à l’électricité puis au numérique.
À l’origine (16e siècle), la scène à l’italienne, est un théâtre temporaire construit dans une salle de palais selon les principes vitruviens, reproduction plus ou moins fidèle du théâtre romain. Il n’y a ni rampe, ni rideau, ni manteau d’Arlequin. La scène, peu profonde et peu praticable, avec un plancher en pente, est un véritable tableau grand format et en trois dimensions faisant appel aux principes de la perspective picturale pour produire l’illusion de la réalité. Devant, le proscenium donne accès autant à cette scène qu’à la salle, ou plutôt, à cet espace (l’orchestra romain) plus ou moins vaste séparant les spectateurs du proscenium.
Chez Serlio, par exemple, cet espace, de forme semi-circulaire, joint à celui du proscenium, forme un ensemble plus vaste que la scène elle-même. C’est sur ce proscenium et parfois dans l’orchestra que l’acteur évolue. Les rares incursions qu’il fait sur la scène proprement dite se limitent aux premiers rangs de décor et aux gloires, nuées et autres machines. Les personnages qui y apparaissent semblent appartenir à un autre monde précisément à cause de la différence de lumière. L’acteur peut venir de la scène pour atteindre le proscenium, mais il n’y reste pas. En général, il y reçoit, sur le proscenium et dans l’orchestra, à peu de chose près, la même lumière que le spectateur alors que la décoration a son propre mode d’éclairage, différent comme procédé et comme résultat.

Avec l’arrivée des théâtres permanents et des théâtres publics et la popularité de l’opéra (le drame lyrique), la salle de spectacle prend de l’ampleur et la scène se referme sur elle-même. Le cadre de scène apparaît et, un peu plus tard, le rideau. La frontière de la scène devient très marquée par l’apparition de la rampe d’éclairage et de la fosse d’orchestre. Le proscenium devient le lieu de prédilection de l’acteur de théâtre et du chanteur d’opéra qui bougent peu pour satisfaire aux besoins de l’élégance, de la déclamation et du chant… et pour ne pas jouer dans l’ombre.
Après Shakespeare et malgré Molière, le jeu de l’acteur dégénère en un style déclamatoire où chaque geste devient un événement. Le décor l’empêche de s’aventurer trop profondément vers la « haute » scène où il devient plus grand que la porte par laquelle il est censé entrer. Les machines de tous genres font descendre des cieux des quantités surprenantes de personnages, véritable intrusion éclairée faiblement avec des ressources limitées. C’est à cette époque que prend forme une convention d’éclairage où la scène est éclairée pour la décoration, l’avant-scène pour l’acteur et la salle pour permettre aux spectateurs de se donner, eux aussi, en spectacle.
Au dix-huitième siècle, avant le renouvellement du matériel d’éclairage, le périmètre d’action de l’acteur s’agrandit en fonction de l’augmentation du volume scénique du théâtre à l’italienne devenu la norme dans tous les pays occidentaux. La scénographie, qui s’étend maintenant jusqu’aux cintres et s’étire vers le fond de plus en plus étendu de la scène, permet un meilleur éclairage, mais le centre de la scène demeure dans la pénombre et peu invitant pour l’acteur. S’il commence à bouger un peu plus sur place, l’acteur est loin d’habiter toute la scène. Lekain et Clairon en France, Garrick en Angleterre, Schröder en Allemagne ont mis fin à la grandiloquence et au formel de l’acteur tragique et ont introduit « quelques vrais accents de la nature » sur scène. Mais, ils se réfugient tous sur le proscenium, devenu un vaste plateau neutre éclairé très différemment de la scène et de la salle. Ce sont les trois types d’éclairage dont parle Lavoisier dans son mémoire.

Tous les « machinista » qui ont serpenté l’Europe et nous ont laissé quelques traités étaient architectes, ingénieurs, hydrauliciens, décorateurs, etc. Plus enclin à parler de leur œuvre, on trouve dans leurs mémoires plus de détails sur la manière d’éclairer la décoration scénique et les effets spéciaux, fruit de leur recherche, que sur la manière d’éclairer l’acteur. Il est vrai que l’engouement pour les spectacles à machines commandait toujours plus de spectaculaire.
À partir de l’invention du gaz d’éclairage puis de l’électricité, se sont ces découvertes industrielles qui vont commander les changements de procédés artistiques et techniques d’éclairage. Pendant près de deux siècles, on adaptera le schéma de composition d’éclairage en substituant aux chandelles et lampes à huile ces nouvelles sources de lumières pour répondre aux exigences de la scène « à l’italienne » sans pourtant ne rien changer dans la formule en usage. Jusqu’à l’avènement, au vingtième siècle, d’abord du metteur en scène ayant un point de vue critique et esthétique sur la représentation et, presque au même moment, de l’invention du projecteur. Alors, des précurseurs comme Antoine, Appia, Craig, Belasco, Copeau et plus tard, Jouvet, vont s’emparer des nouvelles ressources pour faire progresser la technique d’éclairage vers l’art de la lumière. C’était appeler à la naissance du concepteur lumière et de la séparation des tâches du « décorateur » de ces temps modernes.

Puis vinrent les nouvelles technologies. L’éclairage théâtrale a été au premier plan de l’instillation du numérique dans le monde artistique. Avec des incidences perceptibles dans la qualité et la précision de la lumière sur scène. Le répertoire des possibles s’est amplifié à une vitesse incroyable forçant les compagnies de théâtre à changer leur équipement au même titre que les grandes salles où se produisent les spectacles de musique populaire entraînant des dépenses sans cesse renouvelées. Une évolution qui se poursuit encore présentement.
Ce site n’est pas le site d’un historien. C’est le résultat de la recherche d’un éclairagiste du 21ème siècle qui redécouvre ses prédécesseurs et qui interroge les grandes étapes de l’évolution de son art.